Souhaité par Louis XIV, réalisé sous Louis XV
Désireux de doter le Château d’une salle de spectacle où pourrait se déployer tout le faste requis par les représentations de pièces à machines qu’il affectionne, Louis XIV envisage d’aménager celle-ci à l’extrémité de l’aile du Nord, là où le terrain accuse une déclivité importante qui permet l’aménagement de dessous conséquents et l’élévation d’une vaste cage de scène. Jules Hardouin-Mansart et Carlo Vigarani présentent au Roi différents projets de théâtre (on parle alors de « salle des ballets ») sans qu’aucun ne retienne vraiment l’attention du souverain. Louis XIV privilégie la construction de la Chapelle (1710).
Le renoncement du Grand Roi s’explique non seulement par la désaffection qu’il témoigne aux grands spectacles de sa jeunesse, l’âge et les revers venus, mais aussi par le fait que l’ordinaire des spectacles de la Cour peut avoir lieu sans encombre dans la petite salle de la cour des Princes en service depuis 1682. Cette situation dure la plus grande partie du règne suivant, même si Ange-Jacques Gabriel, Premier architecte du roi depuis 1742, multiplie sans relâche les études. Au départ réticent, ou tout au moins peu intéressé, Louis XV laisse Gabriel mûrir son projet et accepte l’envoi d’architectes français en Italie dans le but de procéder à une véritable tournée d’inspection des plus belles salles de la péninsule : il s’agit de ramener en France toutes les informations et données techniques qui permettront à Versailles de se doter d’un théâtre parfait, conçu dès le départ pour servir non pas à l’ordinaire (les spectacles donnés régulièrement à la Cour pour un nombre relativement restreint de spectateurs) mais pour les grandes solennités réunissant un public nombreux (près de 1 500 personnes). De cette façon, on pourra renoncer aux dispendieuses et peu satisfaisantes salles provisoires qu’il faut construire à chaque fois que l’occasion se présente (notamment lors des mariages princiers).
Convaincu par Gabriel, Louis XV, considérant la perspective des mariages prochains de ses trois petits-fils, ordonne finalement la construction de l’Opéra royal. L’architecture générale de la salle et du bâtiment est confiée à Gabriel. Celui-ci, après bien des modifications, livre un théâtre qui reprend les avancées les plus significatives de son temps : plan en ellipse tronquée, niveaux en retraits les uns par rapport aux autres, loges à la française (sans cloisons). En renonçant au dernier moment quatrième rang de loges, remplacé par une colonnade, l’architecte achève de donner à l’ensemble une élégance et un équilibre parfaits. La décoration sculptée a été confiée à Augustin Pajou et les peintures commandées à Louis-Jacques Durameau.
L’aménagement de la machinerie et de tout ce qui regarde la scène échoit à Blaise-Henri Arnoult, premier machiniste du roi, qui signe là un chef-d’œuvre. En effet, ce que l’on pourrait qualifier de cahier des charges prévoyait une utilisation multiple des lieux : ceux-ci devaient servir à la fois de salle de théâtre mais aussi de salle de bal ou de salle de festin. Au moyen d’un complexe système de planchers mobiles mus par des treuils, Arnoult parvient ainsi à créer une salle modulable pérenne. Certes, la transformation des lieux nécessitait presque deux jours de travail, mais il ne s’agissait plus de refaire en permanence de nouvelles décorations ni de nouvelles machines : tout pouvait être réutilisé à l’infini en fonction des besoins.
Transformé en salle de bal – sa plus vaste et plus spectaculaire configuration –, le théâtre offrait un plancher uni depuis l’entrée de la salle jusqu’au fond de la scène (plus de 45 mètres). Celle-ci était dotée d’un riche décor « en dur », pourvu de praticables afin de placer des spectateurs dans un étagement de plusieurs niveaux de loges. Ce décor pour les bals n’était pas la copie conforme de celui de la salle dans sa configuration théâtre (comme on a eu tendance à l’écrire un peu trop rapidement), il offrait un coup d’œil sensiblement plus coloré où dominaient le vert émeraude, le bleu et l’argent.
Inauguré le 16 mai 1770 à l’occasion du festin des noces du Dauphin avec l’archiduchesse Marie-Antoinette, ce théâtre de l’extraordinaire (le coût – certes élevé – de son exploitation n’est donc pas la seule raison de cette utilisation restreinte) ne sert qu’une quarantaine de fois jusqu’à la Révolution. On l’utilise pour les noces de la famille royale et pour honorer les souverains étrangers. À ces derniers, on offre tantôt une représentation, tantôt un bal. La dernière utilisation du théâtre pour une fête de Cour remonte au 18 juillet 1784, où l’on donne un bal en l’honneur du roi de Suède Gustave III. Cinq ans plus tard, le 1er octobre 1789, le célèbre banquet des gardes du corps met un terme à l’utilisation des lieux sous l’Ancien Régime.
Réceptions et restaurations
La Révolution épargne l’Opéra royal mais le laisse vidé de son mobilier, de ses glaces, de son luminaire et de ses décors. Louis-Philippe ordonne sa remise en état au moment de la création du musée de Versailles. Si la scène et sa machinerie sont peu touchées par cette campagne de travaux, la salle en revanche subit des transformations qui altèrent sa disposition originelle (surtout au niveau de la loge privée du roi) et son aspect (une uniforme peinture rouge à croisillons d’or et encadrement de faux marbre griotte vient recouvrir les couleurs du XVIIIe siècle. Le théâtre est utilisé à quelques rares occasions pour des spectacles officiels, comme celui de l’inauguration du nouveau musée le 10 juin 1837. En 1855, Napoléon III renoue avec les fastes de l’Ancien Régime en y offrant un banquet à la reine Victoria, puis une représentation de gala au roi consort d’Espagne en 1864.
En 1871, après la chute du Second Empire, l’Assemblée nationale nouvellement élue abandonne Bordeaux, où elle a tout d’abord siégé, pour Versailles où gouvernement et grands services de l’État se sont fixés pour fuir l’insurrection parisienne. L’Assemblée siège à l’Opéra, transformé en salle des séances. Les lois constitutionnelles de 1875, qui instaurent définitivement la Troisième République, prévoient deux assemblées parlementaires : le Sénat et la Chambre des députés. Le premier se voit attribuer l’Opéra royal ; la seconde s’installe dans une salle construite exprès dans l’aile du Midi. La nouvelle utilisation des lieux entraîne des modifications importantes dont la création d’une verrière à la place du plafond de Durameau. Le retour des chambres à Paris en 1879 évite heureusement la destruction pure et simple de la cage de scène.
Menaçant ruine à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Opéra royal est restauré de fond en comble sous la direction de l’architecte André Japy et inauguré solennellement le 9 avril 1957 en présence de sa majesté la reine Elisabeth II. Si cette restauration peut être considérée comme une réussite du côté de la salle, c’est un désastre pour la scène : la machinerie originelle qui subsistait encore pour l’essentiel a été détruite dans sa plus grande partie, tandis qu’un aberrant mur coupe-feu et un rideau de fer faisait disparaître le premier plan sur toute la hauteur du bâtiment. D’importants travaux conduits entre 2007 et 2009 ont heureusement permis la suppression de cet ensemble et la restitution du premier plan.
Depuis 2009, l’Opéra royal accueille de nombreux spectacles et concerts.
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