John D. Rockefeller Jr. (1874-1960) est le fils unique de John Davison Rockefeller, fondateur de la compagnie pétrolière Standard Oil Company. Homme d'affaire, John D. Rockefeller Jr est également connu pour son engagement en tant que philanthrope, aux Etats-Unis et en Europe. Ses multiples voyages sur le Vieux-Continent lui permettent de prendre conscience des états de délabrement des monuments européens après la fin de la Première Guerre mondiale.
Versailles, "trésor international de la France"
Le château de Versailles ressort affaibli de la Première Guerre mondiale. Le départ au front d'une grande partie des agents, les rudes hivers et les économies de guerre ont bouleversé les habitudes de fréquentations du public, qui a déserté les lieux. En 1919, le Château fait son grand retour sur la scène politique, en accueillant, le 28 juin, les plénipotentiaires alliés et allemands pour la signature, dans la galerie des Glaces, du Traité de Versailles. Mais une fois passé cet événement international, le château de Versailles peine à retrouver le public des dernières années. Le domaine de Versailles se détériore, petit à petit.
Le 30 juin 1923, John D. Rockefeller et son épouse Abby assistent à une fête organisée au château de Versailles, au bénéfice de la restauration du domaine.
Le philanthrope se trouve bouleversé par ce qu'il découvre ; la situation de l'historique demeure royale est plus que critique : les statues ploient sous le poids des années, les parquets s'affaissent, les ors pâlissent ...
Contrairement à son père et aux milliardaires américains d'alors, John D. Rockefeller s'intéresse à l'art et à la beauté. Ses goûts l'ont mené en France, où il développe une profonde affection pour le patrimoine français. En 1923, il confie au Président de la République Raymond Poincaré : "J'ai une nouvelle fois été subjugué par la beauté de son [la France] art, la splendeur de son architecture et la richesse de ses parc et de ses jardins". Rockefeller considère par ailleurs le château de Versailles comme un patrimoine international plus que national : une action de préservation est donc nécessaire, afin que ce château historique continue à susciter l'admiration et à inspirer le monde entier.
Les donations
En 1924, John D. Rockefeller Jr. envoie une lettre au Président de la République française, Raymond Poincaré : le philanthrope souhaite apporter à la France une aide financière d'un million de dollars, soit 20 millions de francs, pour la restauration de plusieurs éléments du patrimoine hexagonal : "Je considérerais comme un privilège s'il m'était permis de contribuer à ce résultat en mettant un million de dollars à disposition". Sur ces 20 millions de francs, 10 millions sont alloués à la restauration du domaine de Versailles. Raymond Poincaré, membre de la Société des Amis de Versailles depuis 1913, ne connaît que trop bien l'état du domaine de Versailles. Il s'empresse donc d'accepter cette proposition du philanthrope américain.
Rockefeller cherche un moyen de faciliter le versement des fonds à l'Etat français, qui lui permettrait un contrôle suffisant sur l'administration de ses donations. Une entité est spécialement créée, le "Comité franco-américain pour la restauration des monuments". Les cinq membres qui composent ce comité sont choisis par Rockefeller, nommés par Poincaré, et portent tous un intérêt particulier au patrimoine et à la culture. Le président de ce comité est Jean-Jules Jusserand, retraité de son poste d'ambassadeur de France à Washington. L'architecte William Welles Bosworth occupe le siège de secrétaire général, le banquier Harjes celui de trésorier ; les deux autres membres sont Gabriel Hanotaux et Maurice Paléologue, respectivement ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur de France et président de la Société des Amis de Versailles depuis 1920. Le programme des travaux établi par les architectes en chef du Château, est validé par la Commission des Monuments historiques et soumis au Comité franco-américain pour approbation.
Moins d'un an après sa première visite, les travaux débutent au château de Versailles, sous la direction de l'architecte en chef, Benjamin Chaussemiche. Ce dernier se conforme au souhait du philanthrope : procéder en priorité à des réparations utilitaires, pas nécessairement visibles par le public, mais utile à la préservation du bâtiment. Sa donation est ainsi utilisée pour la réparation des toits, sujets aux infiltrations, à la remise en état des éléments extérieurs et ceux de la charpente. Sur les toits notamment, les matériaux d'origine sont remplacés par des matériaux plus solides : l'ardoise est donc remplacée par le plomb.
En 1927, trois ans après sa première donation, John D. Rockefeller Jr. propose une seconde fois son aide au gouvernement français, en offrant 40 millions de francs au patrimoine français, dont 23 millions pour le seul domaine de Versailles. Cette seconde donation est utilisée pour la restauration des bosquets des Dômes et des Rocailles, celle du Hameau de la Reine profondément endommagé, ou encore la restauration du Grand Trianon. Un souffle nouveau circule dans les allées boisées du parc de Versailles.
La reconnaissance de la France
En 1936, soit plus de dix ans après sa première donation, et à l'invitation du gouvernement français, John D. Rockefeller Jr et son épouse assistent à l'inauguration de l'avenue qui portera désormais leur nom : l'Avenue Rockefeller, bordant le château de Versailles. Le gouvernement français, en la présence du ministre Jean Zay, reconnaît et applaudit l'action philanthropique du mécène américain. De cette journée, le couple Rockefeller dira que "chaque détail a été parfaitement exécuté et rien n'aurait pu être plus ravissant ou charmant".
L'engagement de Rockefeller, considéré dès l'origine comme une aide temporaire exceptionnelle de la période d'après-guerre, a encouragé l'action étatique : dès 1924, l'Assemblée vote l'attribution annuelle de 4 millions de francs destinés au seul domaine de Versailles. Cette somme passera, en 1932, à 5 millions de francs annuels.
Le nom de Rockefeller se trouve à jamais lié à l'histoire du Château. L'engagement de John D. Rockefeller Jr. préfigure l'engagement de la génération suivante dans la poursuite de cette entreprise philanthropique. En 1954, le Rockefeller Brothers Fund annonce une contribution de 100 millions de francs pour la restauration du Hameau de la Reine, du Petit Trianon et du Pavillon français. Bien plus, l'engagement de Rockefeller est à l'origine de la constitution d'un réseau de mécènes, aussi admiratifs du Château que de l'action philanthropique de l'Américain.
Ce mouvement se poursuit encore aujourd'hui par l'intermédiaire de The American Friends of Versailles qui, depuis 1998, perpétuent cette tradition de générosité américaine en faveur du château de Versailles.