Poum Tiya et le
roi-soleilUn récit de Béatrix Saule
Illustré par Emmanuel Guibert
Il était une fois, au royaume de Siam, un jeune prince qui rêvait de voyager. Il avait dix ans et son père, le Grand et Magnifique Phra Naraï, était le plus puissant roi des Indes. En cette année 1686, Poum Tiya réalise son rêve : il accompagne l’ambassade que son père envoie, par delà les mers, auprès du roi de France, Louis XIV. Grâce à la complicité de Louis-Marie de Faverolles, page à la cour de Versailles, il découvre le château du Roi-Soleil.
Il était une fois un jeune prince qui rêvait de voyager. Il s’appelait Poum Tiya. Il avait dix ans. Son père était le plus important des rois des Indes : le Grand et Magnifique Phra Naraï, roi de Siam. C’était aussi le plus riche et le plus puissant avec ses 300 000 hommes d’armes et ses 10 000 éléphants.
Pourtant le Roi était triste. Poum Tiya avait bien compris que ces diables d’étrangers – ceux qu’on appelait les Hollandais – en étaient la cause.
Poum Tiya voulait en savoir davantage. Il avait interrogé sa mère, mais la reine du Siam parlait très peu. Elle avait horreur des questions. Elle avait même fait coudre la bouche à des esclaves trop bavardes. Poum Tiya alla voir son ami Counsrivisâravâkiaa qui lui expliqua tout :
« Quand les Hollandais sont venus ici, on les a bien accueillis. Mais ils sont de plus en plus envahissants et insolents. Heureusement d’autres étrangers vont nous aider à résister. Ils ont le roi le plus grand qui existe.
- Aussi puissant que l’Empereur de Chine ?
- Oui
- Comment s’appelle-t-il ?
- Louis XIV, le roi de France. »
Depuis trois mois – en cachette car il ne devait pas sortir du palais – Poum Tiya allait retrouver un jeune abbé tout habillé de noir. C’était l’un de ces Français envoyés par le roi de France. « Si tu m’apprends le siamois, avait-il dit à Poum Tiya, je t’enseignerai le français. »
Cela s’était fait en s’amusant. Poum Tiya faisait semblant de manger et disait :
« Kin. »
L’abbé traduisait : « Manger. ».
« Kin kaou.
- Manger du riz. ».
- Kin nam.
- Manger … non, boire de l’eau. »
Et tous deux faisaient de grands progrès.
Hélas, les Français allaient repartir. A son tour, Phra Naraï envoyait une ambassade de Siamois en France. La France, Poum Tiya en rêvait la nuit ! Il fit tant et si bien que son père accepta de l’envoyer et désigna même Counsrivisâravâkiaa comme adjoint de l’ambassadeur.
La veille du départ, le Roi et la Reine avaient, du haut de leur éléphant, donné les dernières instructions. La Lettre d’or destinée au roi de France et les traités d’alliance étaient prêts depuis longtemps. La Reine rappelait : « Vous n’oublierez pas ce qu’on vous a demandé de rapporter. »
La liste avait été minutieusement dressée : 532 glaces pour les palais d’Ayuthaya et de Lopburi ; 4 douzaines et demi de chapeaux ; 4 302 pièces de cristal dont
1 257 ornements pour les éléphants mâles et 722 pour les éléphants femelles et des armes, des lunettes astronomiques, des draps, des soieries, des broderies …
Le lendemain à l’aube, deux navires quittaient le Siam.
Portrait d’un ambassadeur de Siam © Château de Versailles, Dist. RMN – Grand Palais
le royaume de Siam
Dans ce conte, Poum Tiya est prince du Siam. Ce royaume s’appelle aujourd’hui la Thaïlande. En 1685, cette région située entre l’Inde et la Chine était considérée comme l’une des plus riches au monde. Sous le règne du roi Phra Naraï, la capitale Ayutthaya comptait près d’un million d’habitants ! Les ambassadeurs venus de France et ceux qui les accompagnent - comme cet abbé qui apprit le français à Poum Tiya - n’hésitaient pas à comparer cette ville immense et ses palais magnifiques à Paris. Rien d’étonnant à ce que le royaume de Siam fut particulièrement convoité…
La concurrence faisait rage entre les différents royaumes européens pour maîtriser le commerce avec l’Extrême-Orient. Dans cette partie d’échecs à l’échelle du monde, les « comptoirs » étaient les principaux points de luttes. Ces ports d’attache représentaient la porte d’entrée vers ces régions si riches en nouveautés. On y faisait du commerce et des affaires. Des navires venaient d’Europe les cales pleines de marchandises produites dans les toutes nouvelles manufactures. À peine vidés, ces mêmes bateaux étaient chargés des marchandises locales et repartaient ainsi vers l’Europe. Au Siam, les Hollandais, déjà présents au Japon, cherchent à étendre leur influence.
De l’autre côté du globe, la France et la Hollande se firent la guerre de 1672 à 1678. La victoire fut remportée par Louis XIV, mais ce dernier voulut poursuivre la bataille sur le terrain du commerce. C’est pour gagner et embarrasser son ennemi que la France envoya des ambassadeurs auprès du roi Phra Naraï. Un traité devait être négocié à Versailles entre la France et le Siam…
Ce même jour, 22 décembre 1685, à l’autre bout du monde, Louis-Marie de Faverolles, page de Sa Majesté Louis XIV, se faisait encore fouetter sur ordre de son gouverneur.
Il avait entraîné les pages de la Chambre du Roi – ceux qui portent le bel habit rouge à galons bleus – dans une folle partie de cache-cache sur les toits du château.
Cela était défendu. En effet, le château, en travaux depuis plus de vingt ans, se terminait par un prodigieux à-pic : une aile entière restait à construire du côté du nord.
Personne n’aurait rien su de l’escapade. Mais Louis-Marie avait eu l’idée de heurter du marteau la cloche de l’horloge du château au moment même où, dans les combles, l’horloger Martinot en réglait les mécanismes.
Au cours du lever public du Roi, qui avait lieu comme chaque matin devant les principaux courtisans, Martinot s’était plaint au duc d’Aumont :
« J’avais les mains dans les rouages. Pour un peu, ils me coupaient un doigt, ces gredins ! »
Six mois plus tard, par un bel après-midi de juin, le vaisseau L’Oiseau et la frégate La Maligne entraient en rade de Brest.
La traversée avait été longue, longue, mais sans tempête. La rade était couverte de bateaux de toutes sortes. Poum Tiya commença à les compter mais s’arrêta à soixante. Il y en avait trop …
On était prêt d’accoster, longeant des monstres bleu et or. Poum Tiya pouvait lire leur nom : Le Soleil royal, La Couronne, La Reine … C’étaient les plus beaux vaisseaux de la Marine Royale, énormes et somptueux.
L’arrivée de l’ambassade fut saluée par 600 coups de canons tirés des navires et des forteresses.
Poum Tiya mit pied à terre, ivre de joie. Enfin, la France !
La première partie du chemin se fit en litière. « On dirait des palanquins », nota Loüang Calayanaraa, le premier adjoint de l’ambassadeur. C’était un vieil homme sec qui avait été longtemps ambassadeur en Chine ; on l’appelait d’ailleurs le Chinois.
Puis les litières avaient été remplacées par des carrosses. Poum Tiya voyageait entre l’ambassadeur et le Chinois ; tous trois étaient assis sous la planche installée pour supporter la Lettre d’or que Phra Naraï adressait à Louis XIV. Car, c’était bien connu, le roi de Siam n’écrivait que sur de l’or. La feuille d’or était enfermée dans trois boîtes : une d’or, une d’argent et une de laque. Elles étaient couvertes de Brocart d’or et de fleurs fraîches que l’on devait changer tous les jours. Tout se passait bien. Mais à une étape, l’ambassadeur entrant dans son appartement, s’exclama : « Impossible !
- Pourquoi Monseigneur ? s’inquiétèrent les notables de la ville.
- Mes serviteurs sont logés au-dessus de moi.
- Mais, Monseigneur, c’est l’usage : les chambres des domestiques sont toujours sous les toits.
- Qu’importe, je logerai sous les toits.
- Comme Monseigneur voudra. »
Les notables ignoraient ce que chacun doit savoir : premièrement, qu’un ambassadeur du Siam ne peut quitter la Lettre d’or ; deuxièmement, que personne ne peut se trouver au-dessus de la Lettre d’or du Très Grand et Magnifique Roi de Siam. Enfin, ils atteignirent Paris. Quelle drôle de ville ! Et ces maisons, toutes serrées les unes contre les autres et aussi hautes que la tour du temple d’Ayutthaya ! Et quelle foule ! Aux exclamations du jeune prince, le Chinois ne fait que répondre : « C’est comme en Chine ! C’est comme en Chine !
À l’hôtel des Ambassadeurs, au 10 de la rue de Tournon où les Siamois sont logés, un homme vient les voir.
Un homme très cérémonieux. C’est normal puisque c’est un cérémoniaire. Il est suivi d’un jeune garçon en habit rouge à galons bleus. Il fait trois révérences en faisant virevolter son chapeau. Dans son dos, le page l’imite avec une malice qui surprend Poum Tiya.
« Sa Majesté le Roi mon maître…, déclame le cérémoniaire, Louis XIV, roi de France et de Navarre… m’a envoyé à fin de faire part à Votre Excellence… que l’audience que Sa Majesté accordera aux envoyés du Très Grand et Magnifique Seigneur Phra Naraï, roi de Siam … est fixée au 1er septembre. »
Derrière, l’insolent page continue ses grimaces. Poum Tiya retient un fou rire.
« Par ailleurs, Sa Majesté ayant appris qu’un prince de la Maison royale de Siam… » Encore une révérence, cette fois destinée à Poum Tiya. C’en est trop ! Avant même que le page ne l’imite, Poum Tiya éclate de rire. Un regard de l’ambassadeur l’arrête aussitôt. Et le cérémoniaire reprend : « qu’un prince de la Maison royale de Siam accompagnait l’ambassade… Sa Majesté m’a chargé d’exprimer le vif désir qu’Elle éprouve à le connaître … et l’invite donc à se rendre le dit jour à Versailles. »
Versailles : un château vivant
Le château de Versailles est la demeure du roi de France : Louis XIV. C’est lui qui ordonna la construction de ce château et qui en dirigea les immenses travaux.
Versailles était un lieu de chasse de son père, Louis XIII, qui fit construire un pavillon dans ce domaine marécageux et regorgeant de gibier. Nous étions encore très loin du Versailles que nous connaissons aujourd’hui.
C’est lors d’une partie de chasse que celui qui allait devenir le Roi-Soleil découvrit le domaine de son père. Il développa une véritable passion pour les vastes espaces giboyeux qui le changeaient du Palais des Tuileries enserré au cœur de la ville de Paris. Il y retourna donc de plus en plus régulièrement. À partir de 1661, il prit même la décision d’y engager les premiers travaux. C’est le début de l’histoire de Versailles, un symbole de la puissance de la France et de la monarchie absolue. Une construction indissociable du personnage de Louis XIV.
Le projet était tellement immense, qu’à la visite des ambassadeurs de Siam, en 1686, le palais était encore en construction ! Il l’était d’ailleurs toujours à la mort de Louis XIV en 1715. Pourtant, les travaux n’empêchèrent pas le roi de faire de son château le centre de l’État. Versailles devint sa résidence principale dès 1682. Dès lors, ministres, courtisans, généraux ainsi que leurs familles, administrateurs et domestiques s’installèrent à Versailles. C’était donc bien un château fourmillant de vie que notre jeune prince de Siam s’apprêtait à découvrir…
C’est le grand jour ! Poum Tiya va être présenté au plus grand roi de la terre. Il est content, fier et inquiet à la fois. À cinq heures du matin, il monte dans le carrosse royal. Entre Paris et Versailles, Poum Tiya s’endort.
« Nous arrivons ! s’exclame le cérémoniaire. »
Poum Tiya sursaute. Par la portière, il aperçoit au loin les bâtiments qui barrent l’horizon.
« Ce n’est pas un château ! C’est une ville toute entière !
- C’est comme en Chine ! C’est comme en Chine ! dit le chinois »
Le roi de France habille ses châteaux comme ses serviteurs, en rouge, bleu et or, pense Poum Tiya en voyant les toits d’ardoise ourlés d’or, et les murs de briques.
On franchit une première grille, puis une seconde.
Le carrosse se range à gauche.
Tout le monde pénètre dans la salle de « descente » réservée aux ambassadeurs.
« Je reviendrai chercher Votre Excellence, dit le cérémoniaire, quand Sa Majesté sera prête à se mettre dans son trône. »
Les Siamois sont d’une propreté extraordinaire : pensez donc, ils se lavent plus d’une fois dans une journée !
Les ambassadeurs, le jeune prince et les huit mandarins se font frotter le visage et le corps. Par les fenêtres de la salle d’attente, des indiscrets les regardent.
On leur enfile des bottines de cuir souple brodé qui remontent sur les chausses ; puis une chemise au col cassé piqué de deux diamants, et par-dessus, un manteau d’étoffe de soie rayée avec une écharpe en guise de ceinture. L’ambassadeur et Poum Tiya portent sur leur bonnet de cérémonie une couronne de fleurs faites de feuilles d’or si minces qu’elles s’agitent au moindre mouvement.
C’est le meilleur orfèvre de Paris qui les a ciselées.
« Elles sont trop légères, a-t-il hasardé.
- Si elles étaient plus lourdes, il les faudrait donner à porter à des bêtes, a sèchement réparti l’ambassadeur. »
Poum Tiya voudrait bien goûter au chocolat et aux petits pains qui leur ont été offerts. Mais Counsrivisâravâkiaa veille : « Ce n’est pas le moment de se salir. » Poum Tiya se renfrogne et se réfugie près d’une fenêtre.
Tic ! tic ! Il entend gratter au carreau, se retourne et reconnaît le page en habit rouge à galons bleus. En un instant, il l’a rejoint dans la cour des Princes.
Main dans la main, ils sortent du château.
« Moi, explique le page en pointant son index sur sa poitrine, Louis-Marie de Faverolles, Loui – ma – ri –de fa –ve – rol. Monseigneur, pour vous servir.
- Je suis Poum Tiya, prince de Siam et je parle français. Où m’emmènes-tu ? »
Ils pénètrent dans une vaste cour grouillante de cuisiniers, pâtissiers, lavandiers, garçons fruitiers, marmitons et autres tournebroches…
« Ici, c’est le Grand Commun où le Roi loge et nourrit ses officiers. Dans les étages il y a six cents chambres.
- Six cents !
- Et là, ce sont les tables pour les officiers qui y mangent à tour de rôle. »
D’appétissantes odeurs s’échappent de la rôtisserie et de la pâtisserie.
« Hé, Nicolas, ça a l’air terriblement bon ce que tu portes !
- Ce sont des feuillantines à la pistache, répond le galopin de cuisine.
- Je t’en prends une pour mon ami le très haut et puissant seigneur Poum Tiya, prince de Siam, et une pour moi.
- Mais, mon chef va…
- Tu lui diras que c’était pour le très haut et puissant seigneur Poum Tiya, prince de Siam. »
« Monseigneur, sauriez-vous jouer à cache-cache ?
- Cache-cache ?
- J’ai la clé du labyrinthe
- Labyrinthe ?
- C’est dans les jardins. Allons-y !
Les jardins de Versailles ! Le Chinois en a déjà vanté les merveilles : ils sont aussi beaux, paraît-il, que ceux de l’empereur de Chine. Après le soleil des grandes allées, quelle fraîcheur dans le bosquet du labyrinthe !
Ils courent par les sentiers sinueux qui se coupent, s’écartent, se croisent et se recroisent. À chaque croisement, il y a une fontaine et chaque fontaine représente une fable : le Chat pendu et les rats, le Singe et ses petits, le Corbeau et le renard, le Lièvre et la tortue… Trente-neuf fontaines. Pas une de plus, pas une de moins.
Tout à coup, Louis-Marie s’aperçoit que Poum Tiya disparu. Depuis quand ? Le corbeau et le renard ? Le lièvre et la tortue ? Il ne s’en souvient plus. Il rebrousse chemin en courant et en criant de toutes ses forces : « Poum Tiya, Poum Tiiiiyyyya ».
En vain.
Il a perdu le prince. Pourquoi l’a-t-il emmené ici ? Quelle idée absurde ! Un labyrinthe est fait pour cela, perdre les gens ! Le petit prince doit être mort de peur. Impossible de le retrouver seul. Il faut aller chercher de l’aide. Louis-Marie imagine déjà la colère de son gouverneur… Pendant ce temps, au château, les ambassadeurs attendent. Counsrivisâravâkiaa est très inquiet : Poum Tiya ne revient pas. Il envoie un serviteur à sa recherche.
Assis en tailleur, Poum Tiya attend calmement à la sortie du labyrinthe.
« Soit bon joueur, j’ai gagné. »
Au bord du Grand Canal, le clapotis berce les gondoles. Sous un grand chapeau, un homme somnole.
Le page, jouant l’important, lance :
« Par ordre du Roi, à la Ménagerie !
- Non capisco, Signore.
- Que dit-il ?
- Rien. Allons voir le capitaine ! »
Le capitaine Consolin, chef de la Flottille, surveille les manœuvres de la galère royale.
« Que veut mon jeune ami ?
- Je suis avec le prince de Siam. Il a très envie de voir les animaux de la Ménagerie.
- Maffeo, crie le capitaine, porta questi ragazzi dove vogliono !
- Que dit-il ?
- Il est d’accord. Vite, montons ! La gondole file. »
En dix minutes, ils sont arrivés.
« Tu m’as trompé, il n’y a pas de bête ici », proteste Poum Tiya. C’est vrai. Quand on aborde la Ménagerie, on ne voit pas d’animaux, seulement un élégant pavillon.
« On dirait une boîte à thé géante » pense Poum Tiya.
« Et les bêtes ?
- On les voit d’en haut ? »
À l’étage, un balcon en fer forgé ceinture le pavillon. Le page s’arrête au-dessus de l’enclos des fauves :
« Voici les tigres, les lions, l’éléphant…
- Un seul éléphant ?
- Oui. Les autres sont morts, invente le page un peu agacé.
- Les singes sont enfermés ? Chez nous, ils sont en liberté.
Louis-Marie ne sait que répondre. Il enchaîne :
« Le réservoir de poisson qui est là sert à nourrir les pélicans et les oiseaux qui sont à côté, dans la volière.
- Je veux voir des ânes, des vaches, des poules, des oies, des chèvres et des moutons », réclame Poum Tiya.
Poum Tiya est satisfait car la Ménagerie de Versailles a aussi son étable, sa bergerie et sa basse-cour. Vraiment, le petit Français ne comprend pas que son ami s’intéresse à des animaux aussi ordinaires. Pourquoi s’attarder ici ?
« Descendons dans la grotte ! »
La Ménagerie est construite sur une immense grotte.
Dans la pénombre, Poum Tiya hésite.
« Avancez ! N’ayez pas peur ! J’allume un flambeau. »
Louis-Marie tourne un robinet. Aussitôt un tourniquet arrose tout le pourtour de la grotte, tandis qu’une fine pluie jaillit du sol tout percé de trous. Poum Tiya est trempé et ravi. Si les jets faiblissent, il crie : « Encore ! Et encore, et encore… »
Quand ils sortent, le page s’aperçoit du désastre. Sur la tête du prince, le fier bonnet de mousseline empesée pend lamentablement comme une serviette mouillée.
Merveilles disparues de Versailles
En suivant Louis-Marie dans cette aventure, Poum Tiya découvrit que Versailles était bien plus qu’un simple château. Pour contrôler la noblesse, Louis XIV offrit de nombreuses fêtes et divertissements dans son domaine. Ainsi, le Grand Canal que Louis-Marie et notre prince empruntèrent pour aller à la Ménagerie était régulièrement illuminé de grands feux d’artifices.
Les fêtes se sont souvent déroulées dans les jardins dessinés par le célèbre André Le Nôtre. Ils étaient (et sont encore aujourd’hui) l’essence même de ce qu’on appelle « Jardins à la française ». Décorés de centaines de statues et de fontaines, ils abritent des bosquets où il est facile de se perdre…
Véritables prouesses techniques, les fontaines faisaient elles aussi le charme du domaine. Une série de bassins, de réservoirs souterrains et un réseau de plus de 30 kilomètres de tuyaux en plomb spécialement conçus pour l’occasion se chargeaient de les alimenter. À une époque où l’on utilisait encore du bois pour les ouvrages de canalisation, cette invention était révolutionnaire ! Même si Poumb Tiya ne fut pas impressionné par les tigres et les éléphants, la Ménagerie l’amusa beaucoup. C’était pour l’époque quelque chose de fascinant et d’unique qu’offrait le Roi à ses visiteurs. Flamands roses, autruches, gazelles, poules sultanes, mangoustes, castors du Canada, tigres et éléphants : on avait rarement vu autant d’espèces venues des quatre coins de la terres réunies en un seul endroit. Un véritable bonheur pour les curieux, mais aussi pour les scientifiques qui les étudiaient…
Au même moment, le cérémoniaire rejoint les ambassadeurs. L’heure de l’audience approche.
Quand il apprend l’absence du prince, le cérémoniaire ne veut rien savoir. Impossible de faire attendre le Roi !
Le cortège s’ordonne autour de la Lettre d’or.
Au son de trente-six tambours et deux vingt-quatre trompettes, il traverse lentement la cour vers le grand escalier qui monte à l’appartement royal.
« Entends-tu comme moi ? On dirait des trompettes et des tambours… »
Dans la gondole, les enfants se taisent, impatients d’arriver. Dès qu’elle accoste, ils sautent à terre. Un Siamois les attend en compagnie d’un mousquetaire à cheval. Le soldat enlève Poum Tiya et l’installe devant lui.
« Vite, dit-il au page, en croupe ! »
Au galop, le cheval remonte le Tapis vert, les rampes de Latone, longe les parterres d’eau et s’engouffre sous un porche qui débouche dans la cour. L’ambassade gravit déjà le grand escalier.
Trop tard ! On ne passe plus ! Les gardes ont du mal à contenir la foule des curieux qui s’écrasent contre les grilles dorées
« Laissez-nous passer ! dit rageusement le page.
- Laissez-nous passer ! reprend le prince, au bord des larmes. »
Rien n’y fait. Il faut dire que le prince n’a plus rien d’un prince avec ses bottes crottées, son manteau couvert de poussière et son chapeau qui ressemble à un bonnet de meunier.
« Ne vous inquiétez pas, dit le page. Quand on ne peut franchir un obstacle, il faut le contourner. »
Il entraîne Poum Tiya de l’autre côté de la cour. Ils grimpent quatre à quatre l’escalier de Marbre et pénètrent dans l’appartement du Roi. Celui où le Roi habite vraiment, et qu’il ne faut pas confondre avec le Grand Appartement du Roi que les ambassadeurs viennent d’atteindre.
Dans l’appartement du Roi donc, les pièces sont étrangement vides : quelques gardes dans la première salle, personne dans les antichambres d’ordinaire si encombrées de monde.
« L’antichambre du grand couvert . C’est ici que le roi mange en public.
- En public ? Tout le monde peut voir le roi en train de manger ?
- Oui. On fait comme si j’étais le Roi. Je suis assis ici, le dos à la cheminée. La table est devant moi. Et la salle est pleine de gens qui me regardent. »
Cependant, l’ambassade vient d’atteindre le salon de la Guerre, dernier salon du Grand Appartement du Roi et premier salon de la Galerie des Glaces. Il sent furieusement la peinture : la veille, on a enlevé les échafaudages et on les remettra demain.
Les cadeaux que Phra Naraï offre à Louis XIV sont là, bien disposés : vases d’or, coupes de jade, cabinets et paravents en laque du Japon, porcelaines de Chine. Il y en a pour plus de vingt mille écus d’or et cela se voit.
L’ambassadeur est satisfait et sent sa colère s’apaiser un peu. Mais ce diable de Poum Tiya ! il n’est toujours pas là ! Tout prince qu’il est, il ne perd rien pour attendre !
À travers l’arcade du salon, les Siamois découvrent, stupéfaits, le spectacle de la Galerie. Entre deux foules, par la trouée qu’ils vont devoir parcourir, ils aperçoivent, très loin, très haut…un dieu ! Le Roi-Soleil ! Il étincelle !
Muet de surprise, le Chinois pense : « C’est mieux qu’en Chine ! C’est mieux qu’en Chine ! »
Élevé sur neuf marches, Louis XIV en Majesté est assis dans son énorme trône d’argent. Son habit est constellé de diamants, d’émeraudes et de rubis. Les princes de sa famille l’entourent, eux aussi couverts de pierreries.
Non loin de là, Louis-Marie et Poum Tiya s’introduisent dans une pièce tapissée de placards. Ils en ouvrent un. Poum Tiya y découvre de drôles de choses soigneusement rangées sur les étagères.
« Ce sont les perruques du Roi. Celle-ci, c’est la perruque courte que le Roi met au début du lever. Celle-ci, c’est celle de la fin du lever. Voilà pour la fin du conseil. Celle pour le débotté, après la chasse. Et il I il y en a plusieurs, là, pour le soir. »
- Ton roi change de cheveux tout le temps ?
- Seulement cinq fois par jour.
- On peut les essayer ? »
Aussitôt dit, aussitôt fait !
« Assez ri, interrompt Louis-Marie. Vite un coup de brosse sur le manteau ! Un peu de poudre pour cacher les taches de vos bottines ! Et ce porte perruque, là, va redresser votre bonnet ! C’est parfait. Vous voici redevenu un prince ! »
Et il entrebâille une lourde porte…
Les voici dans la Galerie des Glaces.
Poum Tiya se faufile à travers sept épaisseurs de courtisans et se glisse dans le cortège qui avance lentement.
Arrivé au pied du trône, l’ambassadeur gravit l’estrade pour remettre la Lettre d’or. Poum Tiya le suis à une marche d’intervalle. Ses jambes tremblent.
Louis XIV se lève.
Que le Roi est grand !
Il prend la Lettre et s’adresse ensuite à Poum Tiya : « Nous avons appris que vous connaissiez notre langue. Nous vous parlerons donc en français. Donnez-nous, je vous prie, des nouvelles du roi, votre père, et de la reine de Siam. »
Que le roi est intimidant !
Poum Tiya ne sait que répondre. Cela fait maintenant près d’un an qu’il a quitté ses parents. Incapable de prononcer un mot, il s’incline le plus bas qu’il peut. Apparemment, c’est ce qu’il fallait faire, car le Roi dit : « C’est bon. » Et il ajoute avec un demi-sourire : « Quand vous reviendrez ces jours prochains, nous vous montrerons nous-mêmes nos jardins. Rassurez-vous, vous ne serez pas arrosé ! » Et il regarde Faverolles qui devient plus rouge que son habit.
Le Roi sait toujours tout !
Louis XIV donnant audience aux ambassadeurs de Siam ©Beaux-Arts de paris, Dist. RMN-Grand Palais / image Beaux-arts de Paris.
La visite de l’ambassade de Siam
L’audience des ambassadeurs du roi de Siam eut lieu le 1er septembre 1686 dans la galerie des Glaces. La splendeur et les efforts déployés à l’occasion de leur venue firent de cet épisode diplomatique un événement important dans l’histoire du château de Versailles. Nombreux furent les curieux venus observer la procession emmenée par Kosa Pan, le premier des ambassadeurs du roi Phra Naraï.
Pour Poum Tiya et ses compatriotes, la France représentait vraiment quelque chose de nouveau – « mieux qu’en Chine », comme dit le mandarin qui les accompagnait. Mais il faut imaginer ce que fut pour la cour de France la venue d’une ambassade qui avait traversé les océans ! Leurs costumes et leurs traditions ne manquèrent pas d’impressionner. Ainsi, la profondeur des trois révérences, qui étaient pour Poum Tiya et les ambassadeurs une tradition, fit une très belle impression au Roi de France.
À l’occasion de leur visite, la galerie des Glaces, où a lieu la réception, fut préparée avec le plus grand soin. On regroupa le mobilier d’argent. Louis XIV était vêtu d’un habit brodé de mille pierreries … Les Siamois ne furent pas en reste, parés de leurs plus beaux costumes traditionnels et de leurs chapeaux étrangement pointus. À Paris, les fines feuilles d’or qui composaient les couronnes ne manquèrent pas d’étonner les orfèvres qui les réparèrent à l’issue du long voyage. La lettre de leur Roi, qu’ils présentèrent à Louis XIV, était rédigée sur une feuille d’or.
L’ambassade avait pour but la signature d’un traité portant sur le commerce entre la France et le Siam. Par conséquent, les siamois ne vinrent pas les mains vides. Ils offrirent au Roi de France et aux grands de la cour des présents venus de Chine, du Japon et de toute l’Asie. Cependant, ces cadeaux et la visite des ambassadeurs n’eurent pas l’effet escompté.
Les cadeaux des ambassadeurs impressionnèrent par leur quantité et certains furent à l’origine de nouvelles modes en France, comme la « siamoise », étoffe de soie finement rayée. Une seconde ambassade française fut envoyée au Siam, avec notamment pour mission de suggérer au roi Phra Naraï de se convertir au catholicisme. Cependant, une révolution de palais devait rompre les liens entre la France et le royaume de Siam quelques années plus tard.
Le lendemain, le gouverneur des pages fait appeler Louis-Marie.
« Monsieur, lui dit-il, pour sanctionner votre mauvaise conduite, le Roi m’a chargé de vous infliger une punition. »
Louis-Marie baisse les yeux.
« Elle durera jusqu’à la fin du séjour de l’ambassade de Siam. »
Louis-Marie serre les dents.
« Vous servirez de gentilhomme d’honneur au prince de Siam et l’accompagnerez dans tous ses déplacements. Louis-Marie saute de joie !
FIN
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